« Il y a des leviers pour faire de la place aux protéines végétales dans nos assiettes »
Sandrine Monnery-Patris est chercheuse en psychologie cognitive au Centre des sciences du goût et de l’alimentation-Inrae à Dijon (Côte-d’Or). Elle estime que le rééquilibrage protéique recommandé entre les fractions animale et végétale passe par une sensibilisation des consommateurs au goût de ces alternatives.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Comment évolue notre consommation de protéines végétales ?
« Au sortir de la Première Guerre mondiale, les Français consommaient en moyenne 7,2 kg de légumes secs par an et par habitant. En 2021, nous étions à 2 kg. On voit aujourd’hui qu’il y a des attitudes favorables à la réduction de l’apport carné, mais le ratio protéines animales/végétales reste de 65/35 pour une préconisation de 50/50 (1). À l’échelle mondiale, on parle d’environ 30 % de produits carnés dans l’apport protéique, mais ces moyennes masquent de grandes différences en fonction des cultures et du niveau de vie des populations. »
« Attention, on ne parle pas ici de substitution mais bien de rééquilibrage entre ces deux sources de protéines ! L’idée n’est pas de tendre obligatoirement vers un régime végétarien. »
Quels sont les freins à ce rééquilibrage ?
« Il existe un certain nombre de freins cognitifs, d’abord liés à la représentation que nous avons de ces aliments. Dans le cadre d’une étude, en 2019, j’avais interrogé des familles sur ce sujet. Ce qui venait immédiatement à l’esprit lorsqu’on leur parlait de protéines relevait de régimes carnés, avec un registre lié à la chair (viande, poisson, œuf, muscle, etc.). Ou encore, dans l’exercice du portrait chinois, les participants associaient la viande à un homme de 30 à 40 ans qui exerce un métier mobilisant la force. »
« Quid de la lentille ? Une femme, plutôt jeune, qui travaille dans le domaine du tourisme ou de l’esthétisme. Et si la viande était un animal, ce serait un chien, la lentille, un chat. On ne s’attendait pas à des réponses aussi marquées et clivées. Cela pose un problème lorsque l’on veut remplacer la viande par des protéines d’origine végétale comme les légumes secs car, dans nos représentations, il est difficile d’échanger un aliment associé à la force et à la virilité avec un aliment plutôt associé à la légèreté et à la féminité. »
« De la même manière, il est compliqué d’imaginer remplacer la viande, que l’on place souvent au centre de la conception d’un repas, par un aliment « périphérique » qui fait habituellement office d’accompagnement. »
« Il y a également cette idée que la préparation de ce type d’aliments est plus complexe et chronophage (trempage des légumineuses, par exemple), malgré les progrès de l’industrie agroalimentaire. Les protéines végétales peuvent par ailleurs être associées à la « viande » du pauvre ou encore à des aliments réservés aux végétariens et végétaliens. Tout cela entre dans notre imaginaire. »
« Enfin, un rééquilibrage de notre assiette protéique supposerait de changer nos habitudes de consommation, alors que celles-ci sont justement faites pour nous libérer de l’énergie et du temps. Imaginez si nous devions à chaque fois que l’on mange, réfléchir à une nouvelle recette. »
Qu’est-ce qui peut attirer le consommateur ?
« Je ne crois pas que les arguments sur l’évolution climatique soient suffisants pour faire réagir tout le monde. Je plaide au contraire pour un discours axé sur le plaisir, pour faire passer le message que ces alternatives végétales peuvent être délicieuses. Les changements alimentaires prennent du temps. »
« Tout ce que nous mangeons, nous l’avons appris. En ce sens, il faut introduire progressivement, dès l’enfance, ces produits dans notre alimentation. Le repas hebdomadaire sans produit carné à la cantine, lancé par la loi Egalim dans les établissements, peut par exemple permettre une familiarisation à ces aliments par une exposition limitée mais répétée. »
(1) Le terme « protéines végétales » englobe l’ensemble des protéines qui proviennent d’aliments végétaux. Les légumes secs en font partie.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :